Sélection d'articles de presse
2011
PRATIQUES DE LA MUSIQUE
L'article de CÉLIO
PAILLARD en pdf sur le lien suivant
Selon certaines auteurs, l’interactivité permise par les technologies numériques transformerait radicalement l’œuvre. Forts de leur expérience, le duo d’artistes Ludicart montre que les modifications touchent moins le statut de l’auteur que celui de l’œuvre, à travers les usages qui en sont faits. Elle n’est plus alors un objet qu’on contemple avec un respect distancié, mais un instrument ouvert aux interprétations, support à la manipulation et prétexte au jeu.
Les 10 et 11 septembre 2011 avaient lieu les
fêtes de la ville de Choisy-le-Roi, dans la banlieue parisienne.
Le parc de la mairie était investi par les dizaines de tentes du
village associatif, et par une grande scène accueillant des concerts de
quelques figures émergentes majeures de la musique actuelle. Un
brouhaha indistinct s'élevait de ce rassemblement de choisyens venus
inscrire leurs enfants au cours de judo, ou soutenir une association
d'aide aux handicapés dans sa recherche de locaux. La rumeur
persistante était tapissée de basses sourdes rampant depuis la grande
scène, relevée par des airs d'accordéon, des reprises de tubes disco,
agrémentée des harangues d'un spectacle de rue, et entrecoupée par les
annonces tonitruantes d'un speaker bien décidé à attirer l'attention du
public sur TOUS les stands du parc.
Et, au cœur de ce joyeux foutoir – l'énergie vitale surmultipliée par la très proche résignation à l'implacable retour au travail –, près d'une petite pièce d'eau – au milieu de laquelle une sculpture de Narcisse présentait son cul plus qu'il ne mirait son reflet –, sous le couvert d'un majestueux saule pleureur, Ludicart avait monté deux installations sonores interactives : les Tableaux sonores (1996) et les Tubulophones (1993).
Les premiers formaient un sas d'accès à l'univers de Ludicart : 4 grands cadres évidés de 2 mètres de haut, diffusant du son lorsqu'on les traversait.
Les seconds étaient constitués de 8 sculptures disposées en un demi-cercle. Également à l'échelle humaine, ces tubes de plastiques crénelés – protégeant d'ordinaire les échafaudages – étaient peints cette fois dans un camaïeux de bleus vifs, se terminant en lamelles, pour évoquer la ramure d'un arbre, et ceinturés en leur milieu par une double bande métallique, produisant des sons lorsque les visiteurs faisaient contact.
Et les contacts, justement, étaient très nombreux. Des enfants, excités par la fête, s'amusaient à cavaler autour des Tableaux et des Tubulophones, s'étonnant qu'ils produisent des sons lorsqu'ils les traversaient ou les touchaient. Ils couraient en tous sens, slalomaient entre les sculptures, tournaient autour, bondissaient de l'une à l'autre, pour constater que la magie continuait d'opérer, et que des mélopées différentes étaient jouées. Ils voulaient tout tester, s'invitaient les uns les autres à prolonger le jeu, en explorant chacun des Tubulophones. Cela donnait lieu à des postures d'équilibre précaire et à des acrobaties cocasses.
Des adultes en faisaient l'expérience avec moins d'exubérance, plaçant leurs mains sur les deux électrodes, leur corps conducteur faisant contact et déclenchant des cascades sonores aux tessitures différentes. Debout à côté, statiques, ils semblaient au premier abord méfiants devant ces totems technologiques à l'apparence un peu bricolée. Mais l'évidence de leur fonctionnement et la constance et l'infaillibilité de la réponse à leurs gestes était aussi convaincante que séduisante.
Pour éviter la déception due à l'expérimentation ratée de l'œuvre, lorsque celle-ci ne fonctionne pas ou mal, lorsqu'elle ne remplit pas ses promesses — ce qui induit parfois un sentiment de culpabilité chez le spectateur qui se reproche d'être incapable de la manipuler correctement –, l'interactivité élaborée par Ludicart est très simple. Pas besoin de s'échiner à suivre un mode d'emploi élaboré ou à deviner quel est le comportement adéquat, on a envie de traverser les cadres des Tableaux ou de toucher les bandes métallisées des Tubulophones, placées à une hauteur convenant aussi bien aux enfants qu'aux adultes. Que pourrait-on faire d'autre ? D'ailleurs, en cas de doute, il suffit d'imiter les autres intervenants, ou de se laisser convaincre par l'auto-suggestion, par exemple en frottant une partie insensible de la sculpture en prétendant qu'elle produit du son.
Et c'est bien là une des qualités principales des œuvres de Ludicart : bien que leur manipulation soit évidente, leur fonctionnement s'appuie sur la magie de la science – comme ces expériences de chimie où l'on voyait bien que le nitrate de potassium précipite dans l'iodure d'argent, cependant que les mécanismes de cette réaction restaient malgré tout inaccessibles à notre intelligence. En touchant les Tubulophones, on ne pense pas que les surfaces réceptives analysent l'ampleur du contact, que le signal analogique mesuré est converti en données binaires qui sont traitées par un ordinateur, et qui produisent par la suite une ribambelle de sons, par l'entremise d'un synthétiseur numérique, d'une carte son, d'un canal d'amplificateur, puis d'un haut-parleur placé au cœur de chaque sculpture. Et quand bien même on le sait, l'émerveillement procuré par l'apparition sonore persiste. La technologie s'efface derrière la simplicité d'utilisation. Ce parti-pris ludique affiché par le duo d'artistes se concrétise par des formes apparemment low-tech, à contre-pied des opérations de séduction de certaines œuvres d'art numériques, qui semblent conçues pour impressionner les spectateurs, mais qui les plongent le plus souvent dans la perplexité. Non seulement il est facile d'activer les Tubulophones et de déclencher des sons, mais encore on s'aperçoit rapidement qu'ils ne durent que le temps du contact, et que leur hauteur est inversement proportionnelle à la surface appliquée sur les capteurs réceptifs.
Et puis, rapidement, on est intéressé par autre chose : les séquences sonores. Influencée par Cage, Xenakis, la musique sérielle et électroacoustique, Ludicart élabore ses séquences avec l'assistance de la combinatoire et du hasard, afin d'introduire variations et surprises. L'invitation des corps des visiteurs à une exploration ludique des œuvres est aussi une manière de leur proposer des formes musicales originales, trop généralement réservées à des salles de concert prestigieuses ou confidentielles, investies par quelques initiés qui peuvent se glorifier d'une telle distinction.
Toutefois il n'y a pas ici de religion de l'écoute, de respect des œuvres excessif : placées dans un lieu (public) bruyant, elles ajoutent une couche sonore et se fondent dans leur environnement, comme si la musique dodécaphonique faisait partie du paysage – ce qui est généralement le cas dans les espaces publics, où bruits, sons et musiques se superposent et s'intriquent.
Pour autant, il ne faudrait pas réduire l'approche de Ludicart à une démarche de vulgarisation. Le didactisme exigerait plus de sérieux et de contrôle, et ces œuvres sont destinées à être jouées, et encore, imparfaitement, car elles ne se laissent pas aisément dompter. Plutôt que des instruments de musique conçus pour un concert ou un spectacle, les sculptures de Ludicart s'offrent à la manipulation. Pour faire quoi ? De la musique, du bruit, pour servir de balises à un jeu, ou d'obstacles de slalom ? Qui sait ? De nombreux usages pourraient être inventés, autant que de situations d'écoute et de vie, sous une forme récurrente ou inédite. Ça dépendra de l'inspiration – mais celle-ci n'en est pas moins orientée par la disposition, l'aspect et le fonctionnement de ces sculptures.
Et c'est en cela qu'est judicieuse leur installation dans des cadres artistiquement peu connotés – voire connotés comme non-artistiques ou comme anti-artistiques, à l'instar des fêtes de Choisy-le-Roi, dont on imagine pas (peut-être à tort ?) qu'un artiste contemporain "branché" se vanterait de les avoir honoré de sa présence. Ludicart propose une expérience, est-ce important de savoir si elle est d'ordre artistique ou si elle est simplement vécue ? Et qu'est-ce que cette distinction changerait à son appréciation ?
La volonté de Ludicart de ne pas séparer la pratique artistique du cadre général, habituel voire "normal" de la vie courante, se manifeste par leur présence dans des événements publics non spécifiquement artistiques, ainsi que par le système économique qu'ils ont mis en place, incompatible avec le marché de l'art et l'appropriation privée – et privative – de leurs œuvres. Celles-ci ne sont pas vendues mais louées pour l'événement. La durée de vie des œuvres s'en trouve ainsi prolongée, et celles-ci bénéficient d'une marge de perfectionnement, suivant l'évolution des technologies et grâce à l'expérience de la monstration : il est possible d'en faciliter la manipulation et d'en optimiser les effets.
Ainsi l'usage est privilégié à l'objet, la musique prenant la forme d'une pratique plutôt que d'un fétichisme.
Célio Paillard
fait partie du comité éditorial de L'autre Musique_Revue.
Il est docteur en esthétique et enseigne les arts plastiques dans les
écoles nationales d'architecture de Paris Val-de-Seine et Versailles.
Il est également artiste plasticien et graphiste.
Jean-Robert
Sédano et Solveig de Ory expérimentent et
réalisent depuis les années 1980 des environnements, installations et
sculptures musicales qui proposent à chacun une expérience concrète,
dynamique et ludique. Pratiquant une forme de création
trans-disciplinaire, ils ont développé un joyeux mélange entre arts
plastiques, musique, technologie et créativité participative. Ayant
exploré de multiples domaines des arts interactifs, de l'époque
« tout-analogique » à l'actuelle
« tout-numérique », ils élaborent totalement leurs
oeuvres : conception, fabrication, musiques et paysages sonores,
algorithmes et écriture des programmes informatiques.
Plus d'informations sur le site Ludicart.
------------------------------------------------------
Arts numériques :
quand l’ingénieur et l’artiste se rencontrent, les enfants s’amusent !
Au carrefour de la technicité et de l’imaginaire, les
arts
numériques se réapproprient les
technologies actuelles pour concevoir des oeuvres d’un genre nouveau où
l’interactivité et le jeu
sont à l’honneur. Un esprit ludique que vous pourrez retrouver lors du
festival Croisements et son
concept « Cité créative ».
Il y encore peu de temps, les technologies numériques, informatique en
tête, étaient le plus souvent
associées à une technicité rébarbative faîte de lignes de code
incompréhensibles.
Aujourd’hui, l’arrivée des Ipad, Iphone et autres smartphones offre un
nouveau visage à ces
technologies. Contrôler musiques, images et vidéos du bout des doigts
sur un écran tactile devient
un jeu d’enfant et un véritable plaisir, et chacun, à sa manière, peut
percevoir le potentiel créatif
qu’offrent le numérique et les technologies associées. Comme souvent,
l’art est en avance sur le
grand public en matière d’appropriation de ces nouveaux média et le
mouvement des arts
numériques a débuté en France dès les années 80. Très vite, ce sont les
notions d’interactivité, de
réalité virtuelle et de réalité augmentée qui ont le plus intéressé les
artistes. Comme le précise
Valérie Morignat, enseignante universitaire et chercheuse en
cyberculture, « Dans les
environnements interactifs, (…) la sensorialité humaine est immergée
dans un monde où elle est
sollicitée, interprétée, pour finalement devenir une matrice créative
qui informe et régénère l’espace
environnant. »
Omniprésents dans les expériences qu’offrent les arts numériques au
public, la notion de jeu et
l’aspect ludique du numérique, se retrouve aussi au coeur du travail de
ceux qui élaborent les
oeuvres.
Dans le cas du duo pionnier en France, Jean Robert Sedano et Solveig de
Ory, dont l’oeuvre
Sonopticon en 1980 marque les débuts de l’interactivité analogique dans
l’hexagone, la symbiose
artiste/technicien est évidente. Passionné d’électronique dès
l’enfance, Jean Robert Sedano est
contraint d’abandonner l’idée d’en faire son métier pour cause de
daltonisme. Il se formera alors en
autodidacte aux technologies numériques pour concevoir avec sa
partenaire, passionnée de musique
électro-acoustique, des installations interactives innovantes.
D’autres artistes français réalisent ce grand écart entre technicité et
imaginaire comme le célèbre
Maurice Benayoun, cofondateur en 1987 du laboratoire Z-A qui, pendant
15 ans, aura été à la pointe
de la recherche dans le domaine des nouveaux média en France.
Laurent Mignonneau, ancien élève de l’école des beaux-arts d’Angoulême,
n’a pas hésité, de son
côté, à se former aux aspects techniques au sein du très sérieux MIT
(Massachusetts Institute of
Technology) de Boston et l’université de Kobe au Japon dont il est
titulaire d’un doctorat en
ingénierie. Sa partenaire autrichienne, Christa Sommerer, aura, elle,
suivi le chemin inverse en
partant d’études en biologie et botanique pour aller vers le domaine
des arts.
Le festival Croisements vous propose donc de venir vous frotter aux
arts numérique made in France
en visitant 2 expositions, New Monster et Dancing Machine, proposées
par la maison des arts de
Créteil. En découvrant ces installations futuristes, interactives et
ludiques qui abordent les thèmes
du mouvement et de la monstruosité, serez-vous capable de laisser la
place à l’enfant rieur et
émerveillé qui sommeille en chacun de nous ? A vous de jouer !
faguowenhua.com - juin 2011 - voir en pdf
L'union Laon 15 septembre 2011
Le Courrier de Mantes - 30 novembre 2011
3.0 Développement des modèles
d’interaction en art, post happenings : où l’on voit que l’artiste tend
à remettre les deux mains sur le volant
3.1 Le spectateur
sélectionné-invité-témoin
Kyldex 16 du pionnier de l’art cybernétique Nicolas Schöffer est
réalisé en 1973. C’est un spectacle ou bien un ballet expérimental
interactif donné
à l’Opéra de Hambourg, en Allemagne. Ce lieu, où est présentée cette
installation, est devenu un théâtre d’images complet, mêlant mécanique
des sculptures, mouvement des danseurs, musique électroacoustique,
lumière et effets visuels. Le point intéressant est que le spectacle
est ouvert à l’intervention du public qui a la possibilité de demander
des explications, de faire répéter, accélérer ou arrêter les séquences.
Ici, les règles sont établies à l’avance par l’artiste pour le
spectateur. Ce dernier peut être un spectateur participatif parce qu’il
a le choix de participer au processus évolutif du spectacle. Il peut
décider de garder son unique rôle de spectateur et contempler seulement
le spectacle. Pour que le spectacle fonctionne bien du début à la fin,
il a été organisé à l’avance, et les règles données aux spectateurs
l’ont aussi été, ce qui est très différent de Kaprow, qui ne donnait
aucune règle à ses intervenants.
------------------
3.2 Le spectateur-coauteur
Sept ans plus tard, Jean-Robert Sedano a lui aussi impliqué le
spectateur dans une de ses oeuvres interactives, Sonopticon, présentée
à la Galerie de Chambéry, en France, en mai 1980.
Le « Sonopticon » est un ensemble de sons et d’images directement liés
aux mouvements des visiteurs. En l’absence de toute personne, les
images restent fixes, sans aucune diffusion sonore. Il ne se passe rien
dans la salle. Dès qu’un individu y pénètre, l’espace s’anime. Les
images se succèdent et se juxtaposent. Les sons se déclenchent en
tonalités variables. Chaque pas du visiteur est en relation avec un ou
plusieurs sons et un groupe d’images. Le déplacement et le mouvement
des visiteurs ainsi que leur nombre déterminent la complexité visuelle
et sonore. Les visiteurs présents en même temps dans la salle sont en
relation entre eux par le simple fait que c’est d’eux que dépendent les
rythmes et les variations7.
Pas de visiteur, pas d’oeuvre. Sa présence est fondamentale pour rendre
l’oeuvre à son apogée. C’est un spectateur-coauteur. Mais, s’il n’y a
pas de règles données au spectateur, il ne fait qu’entrer dans une
pièce pour devenir au même moment coauteur de l’oeuvre. La part donnée
au spectateur est à l’opposé de celle de l’oeuvre de Nicolas Schöffer
où seulement
quelques-uns pouvaient participer. Ici, tous peuvent agir, mais leur
comportement est déjà prévu, et seul un aspect bien délimité et
prévisible de leurs actions a un impact sur l’oeuvre.
in Revue Inter Art Actuel N°109 - Automne 2011 -
p.29-29
– Art vs médias – 50 ans après
ISBN : 978-2-920500-92-1 EAN :
9782920500921
Art et interaction par Karine Dezainde et Jocelyn Robert
Publié par les Éditions Intervention (confondées
par Richard Martel à Québec) trois fois par an depuis 1978, Inter,
art actuel (anciennement Intervention) est un périodique
culturel disséminant les diverses formes, praxis et
stratégies de l'art actuel – performance, installation, poésie,
multimédia –, tout en interrogeant les rapports de l'art au social et
au culturel, au politique et à l'éthique.
voir en pdf